Le 11 février 2020, Alexandre Taillefer publie dans les pages de La Presse une « Remise en question des pratiques du monde syndical ». En bon patron, M. Taillefer sent le besoin d’exprimer les lacunes des représentants des travailleurs et travailleuses. Je tiens à l’en remercier, ceci me permettra de défaire quelques mythes que les détenteurs de lourds portefeuilles aiment bien propager.

En pointant du doigt vers les syndicats, M. Taillefer oublie de faire une introspection et de constater que les relations de travail sont un tango qui se danse à deux et que la réalité d’aujourd’hui est aussi le fait du patronat. Le monde du travail a évolué et la mission première d’un syndicat, qui est de défendre les intérêts des moins nantis, prend de plus en plus d’importance : les inégalités sociales se sont multipliées, les riches se sont enrichis et les couvertures sociales pour les travailleurs et travailleuses ont été coupées. Nous sommes plus pertinents que jamais.

Le patronat ne doit pas être laissé à lui-même

Il ne faut pas regarder loin pour comprendre ce qui arrive lorsque le capitalisme est à son état le plus sauvage. Pendant ma carrière en tant que travailleur de la construction, j’ai compris une chose : les patrons ne sont pas volontairement généreux. Notre milieu de travail a beau être syndiqué bord en bord, c’est le far west. Partout au Québec, et même avec les meilleurs employeurs, la construction reste un milieu de lutte constante.

Encore cette année, la FTQ-Construction a dû aller devant les tribunaux pour faire respecter les normes de santé et sécurité en matière d’installation hygiénique. Partout, même sur les chantiers gouvernementaux, les employeurs ne respectent pas les normes en matière de toilettes et d’accès à des lavabos pour se laver les mains. Qu’en 2020, nous devions encore nous battre pour le droit d’avoir accès à des toilettes lorsque l’on va au travail, en dit long sur la capacité des patrons de nier la dignité humaine pour sauver quelques dollars.

Si ce n’est la dignité humaine, le patronat s’attaque à nos vies. Encore l’an dernier, 226 personnes sont décédées du travail, dont 70 dans l’industrie de la construction. À chaque année, il y a plus de personnes qui décèdent du travail que d’homicides, et pourtant presqu’aucun patron ne va en prison pour négligence, on considère encore que c’est normal. Les syndicats luttent continuellement pour améliorer les normes en matière de santé et sécurité et pour les faire appliquer. Une chance, car sans nous, les patrons feraient de la sécurité un enjeu secondaire s’il faut se fier à la parole de Louis-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat, «le régime de la CSST est trop restrictif et généreux» (La Presse, 24 novembre 2010).

Une force constructive pour l’avenir du Québec

Les syndicats développent leurs propositions en réfléchissant aux impacts à long terme et pas seulement aux gains immédiats.  Ce que M. Taillefer appelle « obstruction systématique » ce sont les combats servant à préserver des acquis durables pour la société québécoise.

Par exemple, alors que les discussions tournent autour de la question de la pénurie de main-d’œuvre, les associations patronales de la construction font de grands appels pour réduire la réglementation et accélérer l’ouverture de l’industrie de la construction au plus grand nombre de travailleurs en faisant fi de la formation professionnelle. Or, si l’industrie de la construction du Québec est aussi performante et fait des jaloux à travers le monde, c’est à cause de la formation professionnelle et des spécialisations par métier. Sans le travail continu de la FTQ-Construction pour protéger les juridictions de métier, le patronat aurait mis de côté la formation initiale et les prérequis pour donner les clés de l’industrie à la main-d’œuvre peu qualifiée et bon marché.

Grâce à nos luttes, les 191 000 travailleurs et travailleuses de la construction, un domaine précaire, peuvent gagner des salaires décents dans toutes les régions du Québec. Le salaire moyen de ces travailleurs précaires est de 38 853$, un bon salaire pour des travailleurs précaires et saisonniers qui n’arrivent à travailler qu’une moyenne de 942 heures par année. Cela reste tout de même une industrie difficile et dangereuse. Notre présence est d’autant plus pertinente.

Pour une société plus égalitaire

Le mouvement syndical s’adapte et développe de nouvelles façons d’approcher les enjeux sociaux. En ce moment, nous, les syndicats, revendiquons une assurance médicament universelle plutôt que des régimes particuliers, parce que nous voulons une équité d’accès à la santé entre tous les travailleurs et travailleuses pendant leur vie active et après. Nous revendiquons aussi une bonification du salaire minimum à 15$ (ce que M. Taillefer favorisait aussi, il y a quelques années à peine) pour réduire les inégalités et s’assurer que toute personne qui travaille à temps pleins (40h) puisse gagner davantage que le seuil de pauvreté. Ce renouvellement qu’il nous propose, nous l’avons déjà amorcé.

Que M. Taillefer et ses amis millionnaires viennent faire la leçon aux représentants des travailleurs sur comment défendre les moins bien nantis c’est comme un renard qui essaie de convaincre un lapin qu’il n’a pas besoin d’un abri pour se protéger. Personne ne le prend au sérieux.

Éric Boisjoly

Directeur général de la FTQ-Construction et grutier