Maude Messier, responsable des communications FTQ-Construction
Maude Messier, responsable des communications FTQ-Construction

Le lundi 2 juin 2008 – «Concentration médiatique, manipulation de l’information et de l’opinion publique, fabrication du consentement, les grands médias québécois ne sont que le prolongement des intérêts néo-capitalistes et le véhicule par excellence de ces idéologies.» C’est dans ces mots que s’exprimait Maude Messier, responsable des communications à la FTQ-Construction, à l’occasion d’une conférence donnée jeudi dernier à des représentants de la FTQ-Construction.
Le règne des empereurs 
Essentiellement, le paysage médiatique québécois se divise en deux empires: celui de la famille Péladeau avec Québécor Inc. et celui des Desmarais avec Power Corporation du Canada (PCC). À eux deux, ces géants médiatiques polarisent le marché des quotidiens québécois 1.

 

 

Considérant le rôle de Transcontinental, spécialisé en imprimerie et en publication, ces géants sont spécialisés dans pratiquement tous les secteurs relatifs aux communications: imprimerie commerciale, publications, télécommunications, distribution. Ils dominent l’industrie du divertissement, à laquelle se mélange l’«industrie de l’information»: chaînes télévisées, productions télévisuelles, information en continu, portails Internet, presse écrite, etc. La filiale Power Financial Corporation de PCC possède des intérêts majeurs dans le secteur financier de même que dans les assurances privées: IGM Financial Inc., Investors Group Inc., Great-West, London Life et plusieurs autres.

Si la présidente de l’Institut économique de Montréal (IEDM) se nomme Mme Desmarais, ce n’est donc pas le fruit du hasard si La Presse, dès la sortie d’une étude émanant de l’IEDM en faveur d’une plus grande intervention du secteur privé, s’empresse d’en publier les résultats. Mme Elgrably, économiste de l’IEDM, a aussi droit à une vitrine hebdomadaire dans les pages du Journal de Montréal, exerçant, moins subtilement, une propagande évidente en faveur des politiques néo-libérales. Plus récemment, que doit-on penser de l’«entente» entre La Presse et Radio-Canada?

Quelle place pour les marginaux? 
Le Québec constitue un bien petit marché. En terme de population francophone, c’est pratiquement dix fois moins que la France. Comment conjuguer avec la saturation du marché québécois par deux géants médiatiques? Voilà qui représente un obstacle colossal pour les publications marginales.

Si les Québécois ne sont pas adeptes de l’abonnement, que la distribution de même que la vente en kiosque sont inondées par des publications appartenant aux deux empires, quelle visibilité y a-t-il alors pour les marginaux?

Partenaires, réseaux, ententes; la solidarité n’est pas un principe exclusif à la gauche… Le véritable problème au Québec réside dans le fait qu’il n’existe pas de presse indépendante, militante, organisée et financée. Bien entendu, quelques publications marginales survivent, mais elles sont condamnées, dans l’état actuel des choses, à demeurer dans l’ombre… de même que les idées qu’elles véhiculent.

Mégas entreprises et contrôle médiatique 
«Contre les abus de pouvoirs, la presse et les médias ont été, pendant de longues décennies, dans le cadre démocratique, un recours des citoyens.»2 C’était ce que l’on appelait alors le «quatrième pouvoir». Cette conception est, encore aujourd’hui, largement implantée dans l’imaginaire collectif.

Évoluant dans le cadre de la mondialisation, les géants médiatiques, tels que Québécor et PCC, investissent dans toutes les formes de communications. De la production et de la sélection de l’information à sa diffusion, peu importe le média via lequel il entre dans l’espace publique, le message est contrôlé de A à Z. À quelques exceptions près, pour les apparences, mais encore…

La culture de masse, avec ses créations populaires et sa logique mercantile, la communication, domaine de la rhétorique et de la persuasion, et l’information, qui relève de l’univers journalistique, sont désormais toutes trois confondues entre-elles, plus souvent qu’autrement au profit de la logique mercantile de la culture de masse.

Au sens de leur propre logique, ces méga-entreprises se doivent d’être rentables d’abord et avant tout. Logique mercantile, où le profit et la poursuite de la croissance sont les objectifs premiers de leur existence, elles doivent donc s’acoquiner aux autres pouvoirs dans le but de maintenir le leur en place et promouvoir des politiques leur étant favorables. À ce propos, la pensée de M. Ramonet est particulièrement éloquente: «Ces grands groupes ne s’assument pas seulement comme pouvoir médiatique, ils constituent surtout le bras idéologique de la mondialisation, et leur fonction est de contenir les revendications populaires tout en essayant de s’emparer du pouvoir.» 3 

Médias et propagande: un danger pour la démocratie 
L’information est à la fois surabondante et contaminée; elle impose à notre esprit des idées qui ne sont pas les nôtres, mais qui, avec le temps et validées à répétitions par des sources «crédibles», finissent par envahir complètement l’espace public… espace contrôlé par les géants médiatiques. Un jour ou l’autre, à force de répétitions, ces idées contre nature s’imposent d’elles-mêmes dans l’esprit collectif comme allant de soi… C’est ça la propagande. D’ailleurs, Edward Bernays, père fondateur et théoricien de l’industrie des relations publiques aux États-Unis, mentionnait: «La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays.» 4

Dans une société, pour que la démocratie puisse véritablement s’incarner, trois critères doivent co-exister:

– Un, qu’il y ait une bonne et équitable répartition de la richesse pour l’ensemble des citoyens. Sans quoi, ils perdent leur capacité d’agir sur un même pied.

– Deux, il doit y avoir un sentiment d’appartenance à une communauté et le sentiment précis de l’interrelation entre les individus pour le bien commun de l’ensemble de la société. Sans quoi, chacun promeut ses intérêts personnels, même si cela se fait au détriment du bien commun.

– Trois, la démocratie exige un système de communication efficace, implanté et étendu, au cœur même de la politique de la société. Sans quoi, les citoyens sont mal informés, désintéressés de la vie politique et démobilisés… laissant ainsi toute la place aux intérêts privés 5.

D’ailleurs, dans toutes les autres formes de société, ceux qui détiennent le pouvoir contrôlent aussi l’ensemble des réseaux de communications… c’est ça, le pouvoir de l’information.

L’exemple de la manifestation du 3 mai dernier est probant… Comment se fait-il que l’ensemble des médias ait ignoré à ce point un rassemblement de plus de 50 000 personnes, manifestant en faveur du maintien d’un système de santé universel, gratuit et accessible? Comment peuvent-ils complètement évacuer de l’espace public le discours social, communautaire et syndical sur un sujet aussi crucial pour l’ensemble de la société québécoise?

La situation du Québec est préoccupante, à la fois en terme de démocratie et de liberté d’expression.

Vive la presse libre et indépendante!

MM/

1 Tirages quotidiens en semaine (en date de mars 2008):
-Le Journal de Montréal, environ 269 520 copies
-La Presse, environ 208 515 copies
– Le Devoir, seul quotidien indépendant (mais imprimé par Québécor World), environ 32 000 copies

2 Ignacio Ramonet. Le cinquième pouvoir, Le Monde Diplomatique, octobre 2003.

3 Ignacio Ramonet. Le cinquième pouvoir, Le Monde Diplomatique, octobre 2003.

4 Edward Bernays. Propaganda – Comment manipuler l’opinion en démocratie, Lux, Montréal, 2008, p. 1 (1928 pour l’édition originale, New York).

5 Robert W. McChesney, Les géants des médias, une menace pour la démocratie, dans Propagande, médias et démocratie, Écosociété, Montréal, 2000, p.81.

 

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