Le vendredi 19 octobre 2007 – Le 18 mars dernier, alors qu’il travaillait au retrait d’un batardeau, Frédéric Jean perd la vie lorsque sa pelle hydraulique glisse dans la rivière des Mille-Îles. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a rendu public son rapport d’enquête lors d’une conférence de presse mardi dernier.

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Rappel des évènements
Les Constructions Infrabec (Infrabec) agissent à titre de maître d’œuvre pour les travaux de construction du pont Préfontaine-Prévost à Terrebonne, contrat octroyé par le Ministère des Transports du Québec (MTQ), le donneur d’ouvrage.

Bien avant l’accident, on peut d’ores et déjà constater que le chantier en est un à hauts risques. Pourtant, aucune gestion adéquate de la santé et de la sécurité n’est appliquée et une multitude de décisions prises à la hâte, sur un mode réactif, par manque d’expérience et de connaissances, mèneront au décès de monsieur Jean.

Les causes ayant mené à l’accident
Monsieur Jean travaillait au retrait du batardeau sur la rivière des Mille-Îles, ouvrage temporaire mis en place par de la pierre concassée permettant la construction des piliers au fil de l’eau. Une telle construction s’avère potentiellement dangereuse et nécessite une planification élaborée: la présence d’une personne qualifiée à plein temps sur le chantier pour surveiller l’état des travaux, l’évolution de ceux-ci et modifier, le cas échéant, les méthodes de travail. Il importe aussi de prévoir les risques afin de les éliminer à même la conception de l’ouvrage. À ce sujet, la littérature est très claire et la CSST en fait d’ailleurs mention dans son rapport.

Ayant mal évalué dès le départ l’augmentation du niveau d’eau de la rivière, l’ouvrage temporaire a dû être surélevé à quelques reprises par l’ajout de pierres. Or, bien que le ministère de l’Environnement soit très spécifique quant à ce type de construction en milieu aquatique, il semble qu’Infrabec n’ait pas tenu compte de la réglementation en utilisant de la pierre trop fine, contenant des particules.

Résultats: l’eau s’est infiltrée dans la partie supérieure de la structure suite à de nombreuses inondations en raison des variations climatiques importantes. Lorsque le niveau d’eau s’est abaissé, la partie supérieure a gelé, créant ainsi une plaque de sol gelée d’une épaisseur d’environ 1,8 mètre.

Le décès de Frédéric Jean
Le 18 mars 2007, Frédéric Jean opère une pelle hydraulique, laquelle se trouve à l’extrémité du batardeau. Il racle la pente du batardeau du bas vers le haut pour en extraire la pierre et la déverser ensuite dans la benne d’un camion. Le remblai submergé reprend naturellement sa forme, ce qui crée une érosion de la pente. Cette méthode d’excavation est généralement utilisée lorsque la visibilité est bonne, permettant à l’opérateur de se positionner de façon sécuritaire.

La méthode de travail est dictée au travailleur verbalement par le surintendant du chantier, aucune méthode de construction et de retrait du batardeau n’ayant été inscrite dans le programme de prévention. L’extrémité de la plaque gelée se retrouve en porte-à-faux suite à l’érosion. Le matin du 18 mars 2007, sous la force exercée par la pelle et le chargement des camions, la plaque gelée craque soudainement à l’avant de la pelle et s’incline vers la rivière. La pelle de Frédéric Jean glisse et sombre dans plus de 6 mètres d’eau glacée.

Si plusieurs ont tenté de blâmer l’opérateur, le rapport de la CSST rend justice à monsieur Jean : le travailleur n’a aucune responsabilité dans les causes de cet accident.

Autres éléments accablants
Infrabec en est à sa première expérience dans ce type de travaux. Non seulement la méthode utilisée pour le retrait du batardeau est dangereuse et effectuée dans des conditions non sécuritaires, mais tout un ensemble d’éléments concourent à faire en sorte que cet accident se produise. Un accident mortel qui, rappelons-le, aurait aisément pu être éviter.

– Aucune analyse des dangers n’a été effectuée avant d’entreprendre la construction du batardeau, pas plus qu’on a tenu compte des conditions climatiques changeantes.

– Infrabec manque d’expérience pour ce type d’ouvrage et n’a pas les connaissances nécessaires à sa réalisation. Ainsi, les embûches se multiplient et les retards s’accumulent. Plus le temps avance, plus les décisions prises sur le chantier ne se font qu’en fonction de la productivité et du rendement, évacuant complètement la sécurité des travailleurs à pied d’œuvre sur le chantier.

– Aucun agent de sécurité n’est affecté à temps complet sur le chantier, malgré l’obligation qu’à Infrabec de le faire en vertu du Code de sécurité sur les chantiers de construction, puisqu’il s’agit d’un chantier de plus de 8 millions de dollars.

– Infrabec délègue plutôt la responsabilité de la santé et de la sécurité sur le chantier au contremaître, lequel n’a ni compétence, ni attestation, ni expérience en la matière.

– Infrabec a obtenu un contrat d’importance en n’ayant aucune connaissance des procédures et des réglementations pour ce type de travaux; pas plus qu’elle n’a l’expérience requise pour la construction d’ouvrage temporaires, tel un batardeau, afin de prévenir les dangers à survenir.

L’ensemble de tous ces facteurs ont concouru à la mort de Frédéric Jean. La FTQ-Construction juge inacceptable qu’un travailleur décède des suites de l’irresponsabilité d’un employeur. À la lumière du rapport d’enquête de la CSST, il apparaît clair que cet accident aurait pu être évité par une réelle prise en charge de la santé et de la sécurité sur le chantier, par des méthodes de travail adéquates et par une planification des travaux concertée.

MM/